CHAPITRE XI
On se dévisage comme deux finalistes qui prennent chacun la mesure de l’autre pour savoir où attaquer.
Alors, voilà un Loy ? Un héritier des types fantastiques qui ont bâti une prodigieuse civilisation, découvert une technologie fabuleuse… et pourtant dépassée par leurs descendants, apparemment. La tulipe, qui nous a accueillis dans l’atmosphère, a atteint une accélération ahurissante. Je sais bien qu’on voulait nous bluffer, mais c’était réussi.
Ce qui m’a un peu remis du baume au cœur, c’est que l’officier commandant l’engin a dû mettre la gomme à fond en pensant qu’on ne tiendrait pas le coup physiquement. Effectivement l’estomac a fait une remontée brutale vers les lèvres, mais ça s’est arrêté là. Tandis que l’officier a insisté un poil de trop pour son propre organisme. Il est devenu très pâle et s’est servi rapidement un verre de je ne sais quoi. Il en avait besoin, le pauvre chéri.
Giuse et moi, sans nous être concertés, on a vu la faille et on a foncé. Avec un bel ensemble on a mimé l’inconscience. Ce qui nous a permis de suivre les manœuvres du gars. Instructif ! On a juste ouvert les yeux pour le transfert sur le sil.
— Vous êtes donc Cal, le chef de votre… détachement ?
— Vous-même vous êtes… ? je renvoie tranquillement.
Il sourit, vaguement amusé.
— Je suis le Praal de cette mission de récupération.
Un titre, j’imagine. Moi je m’en fous. J’attaque aussitôt :
— Ne perdons pas de temps. Vous voulez la base-relais construite par vos ancêtres et occupée par moi depuis des millénaires. Vous ne savez pas où elle se trouve et d’ici peu je ne le saurai plus non plus…
Je le vois tiquer et tenter d’assimiler cette nouvelle donnée dans son problème.
— … Vous nous avez bloqués sur OMA 4 sans la possibilité de rejoindre la base, je le reconnais, mais nous pouvons encore la faire sauter. C’est notre seule action possible, je le reconnais encore. D’autre part, la destruction de notre engin a eu pour effet direct de mettre l’ordinateur de la base en alerte rouge immédiate. Moi seul peux, physiquement, faire désamorcer les défenses. Des défenses que nous avons modifiées au fil des années. Nous devons donc nous entendre si chacun veut se tirer d’affaire avec un minimum de réussite, ce qui me paraîtrait une attitude intelligente. D’autant que je n’aimerais pas sacrifier mes hommes actuellement sur la base.
— Vous avez des hommes là-bas ?
Il a l’air surpris.
— Bien entendu, je lâche, très calme.
— Pourquoi ne sont-ils pas intervenus ?
— Pour être abattus à leur tour ? Nous n’engageons jamais un combat perdu d’avance. Nous fuyons et préparons la riposte. C’est notre mentalité.
Un qui doit se marrer, c’est Giuse…
Sérieux comme un pape, il observe le grand type qui se met debout pour la première fois. Dieu qu’il est mince ! Un vrai fil. Les épaules ne doivent pas faire plus de cinquante centimètres de large… Et il mesure bien deux mètres dix ! Pourtant le visage est assez beau. Allongé mais harmonieux. Ses cheveux sont invisibles sous un casque de bord argenté.
Il va jusqu’au bout de l’espèce de cabine où on nous a amenés, et manipule quelques boutons. Une image de l’espace surgit contre le mur. Une image holographique ! Bravo, mec, très bien, mais ça ne m’impressionne pas, alors je souris.
— Que proposez-vous, Praal ? je lance.
— J’ai pour mission de reprendre la base et je le ferai, avec tout ce qu’elle contient.
Du coup mon crâne démarre à vitesse grand V. Je vois là une confirmation de mon hypothèse. « La base et tout ce qu’elle contient »… Etant donné qu’ils l’ont abandonnée par la force des choses, les derniers membres de l’équipage étant morts il y a très longtemps, leurs descendants ne peuvent… oui, c’est forcément ça, ne peuvent s’intéresser qu’à la base telle qu’elle était autrefois.
Ils ont laissé quelque chose sur place ? Compte tenu de ce que le changement géographique de sa position n’a pas l’air de les frapper, c’est manifestement le « contenu » de la base qui a de l’importance, et une sacrée importance… En somme tout ce qu’on… Vains dieux, voilà ma carte !
Je ne me suis pas rendu compte que le silence était revenu. Ils me regardent tous les deux. Je lève un regard désolé vers le Loy… et j’embraye doucement :
— De notre côté, Praal, nous y avons nos habitudes, nous l’avons agrandie, sans rien détruire d’ailleurs, j’ajoute négligemment. Nous avons utilisé les installations pour faire construire des engins, par exemple. Vos appareils spatiaux ne nous convenaient pas toujours.
Nous avons utilisé aussi vos banques de connaissances technologiques, bref nous avons « utilisé » la base et nous y possédons incontestablement des droits, des choses nous y appartiennent en propre.
Je m’arrête là, histoire de faire une pause et de bien marquer les limites de ma position. Ou il veut s’entendre ou il impose l’épreuve de force.
Il laisse passer un temps.
— Quel genre de modifications avez-vous apportées ?
Ça marche. Il a compris immédiatement. J’ai un geste vague de la main.
— À partir du moment où l’environnement immédiat de la base changeait, le problème de sa sécurité se posait. Vous avez évidemment deviné qu’elle ne se trouve plus dans le système Omaru. J’ai donc fait installer des défenses automatiques indépendantes avec des cerveaux-ordinateurs autonomes, tout autour de sa nouvelle position. Des défenses camouflées, bien sûr. Ces défenses ne peuvent pas être commandées par l’ordinateur central de la base…
Sous-entendu : moi seul peux les désactiver ! Il pige très bien. Mais ça ne lui plaît pas.
— Nous avons les moyens de les faire sauter ou même de les neutraliser en émergeant aux abords immédiats de la base, derrière le réseau de défense. Et nous pouvons reprendre d’un mot le contrôle de l’ordinateur.
Je m’étais toujours douté d’un truc comme ça. Un mot-clé qui annule toutes les dispositions prises antérieurement. Ce n’est évidemment pas HI qui pouvait me le dire ! Mais le coup d’émerger juste devant la base, ça c’est nouveau et indique que leur technologie a fait un progrès formidable. Je suis incapable de lutter contre des engins capables de cette performance. Nos appareils seront abattus comme à la parade.
Je m’efforce de sourire tranquillement.
— Et nous en revenons au point de départ, quand je vous disais que nous pouvons faire sauter la base à notre convenance, avant ou après votre entrée. Le suicide n’est pas une fin déplaisante pour nous. Nous y sommes habitués… Je pense qu’il faudrait débloquer la situation, Praal. Agir intelligemment, sinon nous nous détruirons mutuellement.
Il hoche lentement la tête sans me quitter du regard. Une sacrée partie que je joue là. La dernière probablement.
— Vous avez une proposition ? il fait.
À mon tour de hocher la tête paisiblement.
— Vous voulez la base ? O.K., je suppose qu’on ne peut nier vos droits sur elle. Mais on ne peut nier non plus que nous y ayons vécu longtemps, que nous l’ayons enrichie. Je vous propose de vous la rendre. J’annule les défenses extérieures automatiques et vous en laisse l’accès. De votre côté, vous acceptez de faire détruire par HI les archives de ce qui s’y est passé depuis notre arrivée, vous laissez mes hommes la quitter avec le matériel que nous avons conçu. Et vous ne cherchez pas à savoir où nous allons, dans quelle galaxie nous nous installerons.
Il presse un bouton jaune, sur une console près de lui et consulte un écran qu’on ne peut pas voir d’où nous sommes. À tous les coups son ordinateur de bord. Un analyste ou un central-analyste.
Son visage ne bouge pas. Un sacré joueur de poker, ce mec.
— Cela impose que vous parliez directement à l’ordinateur de la base, en utilisant des mots-code. Qui me prouve que vous donnez bien les ordres dont vous avez parlé ? Qu’en réalité vous ne faites pas sauter la base ?
— Nous sommes ici, avec vous.
— Une explosion à retardement est facile.
— Dans quel but ? Ce serait absurde, vous le savez bien. Mais… je comprends votre souci et nous sommes capables de réfléchir nous aussi. D’après notre conversation, je suppose que vous voulez récupérer quelque chose dans la base. Il ne vous faut probablement pas très longtemps. Si vous voulez, je resterai avec vous dix heures après l’entrée de vos hommes dans la base. C’est la seule garantie que je puisse donner.
Il se lève.
— Je vais étudier votre proposition.
— Si je peux me permettre, Praal, ne tardez pas trop. Je ne peux pas vous en dire plus pour l’instant.
— Restez ici, je vous prie, on va vous apporter de quoi vous restaurer.
Il sort et on reste entre nous, Belem, Giuse et moi.
— Ton avis ? je lance à Giuse en langue européenne.
— Il a l’air astucieux. Alors tu vas lui laisser la base ?
— Tu vois le moyen de faire autrement ?
Il fait la grimace.
— Non… mais ça me fait mal au cœur. L’impression qu’on me vole ! Tout perdre… surtout après avoir tout eu.
— On ne perd pas forcément tout, je réponds doucement.
— Oui, bien sûr. Je sais bien que j’ai Tava et que j’avais décidé de rester avec elle. Mais tout ça me manquera terriblement, il fait en désignant ce qui nous entoure d’un grand geste.
— Tu n’aimes plus la « dingue » ? je demande négligemment.
Pas voulu utiliser le mot Folle que Belem a déjà employé tout à l’heure dans son message, et je suppose que l’ordinateur de bord nous écoute. Il n’a peut-être pas encore traduit cette langue mais je me méfie.
Ses yeux se mettent à briller.
— Qu’est-ce qu’elle vient faire là-dedans ?
— Une idée que j’ai eue. Je t’expliquerai plus tard.
— Mon salaud, toi et tes cachotteries ! Tu fais durer le suspense exprès, pour me diminuer, hein ? T’as toujours été comme ça, même quand on était gosse il fallait que j’attende ton moment à toi pour savoir quel nouveau jeu t’avais inventé. Mais qu’est-ce que j’ai fait au ciel pour tomber sur un mec comme toi…
Je retrouve mon vieux Giuse râleur et ça me fait plaisir.
— Ça fait trente-deux ans que je te dis que le génie c’est moi !
— Trente-quatre, il corrige.
— Tu crois ? Et les cures d’entretien à la base ? En fait on doit faire moins de la trentaine.
— Alors heureusement qu’on quitte la base sinon un jour, au réveil, j’aurais demandé le biberon…
Le con !
On se marre encore quand le Loy entre. Fait vite, le gars. L’air un peu surpris de nous trouver comme ça.
— Où est la base ? il fait.
— Où en est notre accord ? je renvoie.
Il sourit légèrement en retournant s’asseoir.
— Vous avez besoin de quoi pour désactiver les défenses automatiques ?
Je ne réponds pas, me contentant de le fixer.
— Je suis prêt à accepter votre proposition, il reprend. Vos hommes quittent la base avec des engins, mais c’est tout. Alors, vous avez besoin de quoi ?
C’est là que ça va se jouer.
— Votre installation de transmission.
— Bien sûr, mais quoi d’autre ?
— Rien. Si ce n’est de connaître notre position actuelle.
— Aucune difficulté. Vous savez lire les cartes loyes de navigation, je suppose ?
Je rigole franchement. Il ne voulait pas vraiment me vexer. Juste essayer, je pense. Un test comme ça.
— Oh, je m’arrangerai.
Il me fait venir devant un écran qui s’allume en montrant les différents systèmes proches d’Omaru. Je fais un calcul rapide pour avoir une approximation. Elle doit filer vite, maintenant, la base. Mais j’ai sa trajectoire en mémoire. Ça va coller.
Le Praal est en train de pianoter sur sa console.
— Vous pouvez appeler la base, maintenant, vous êtes sur le réseau de sortie d’antenne.
Je reviens m’asseoir.
— Salut HI, ici Cal.
J’ai beau avoir l’air détendu, je suis salement contracté.
La voix du grand ordinateur se fait entendre :
— Bonjour, Cal. Ta voix me parvient fortement, où es-tu ?
— Je t’expliquerai. On a été descendus et je suis à bord du tagazou de nos agresseurs avec qui on a passé un accord. J’ai des ordres à te donner.
J’ai parlé pour ne rien dire afin de lui laisser le temps d’analyser ma première information. J’espère qu’il va comprendre vite… Pour l’instant, le Praal ne bouge pas.
— Voilà, je voudrais que tu réveilles tous les gars sans exception et qu’ils embarquent dans les pikjars. Comme ils ne pourront pas tous entrer dans ces appareils, utilise des transports, d’autant que tu feras charger aussi la chaîne de Ripou…
Je me tourne vers le Loy.
— … Je pense que quelques transports datant de plusieurs millénaires ne vous manqueront pas ?
Pas de réaction de HI. Ou bien il a compris que cette histoire de « chaîne de Ripou » était la chaîne de fabrication des androïdes, et que je ne pouvais pas parler en clair ; ou bien il nage et va se trahir.
Le Praal accepte négligemment d’un geste des doigts.
— Je crois que le transport qui nous avait servi la fois dernière, au pôle, serait bien, je continue…
Ça date du dernier déménagement, celui du pôle sud de Vaha jusqu’à notre satellite. On avait mis un complexe industriel polyvalent et surtout JI, un cerveau-ordinateur miniaturisé, reflet de HI et de ses mémoires, dans un immense transport qui n’avait jamais été vidé, sur le satellite. Pas besoin. Seulement il contient aujourd’hui une fortune fabuleuse pour nous avec ce chargement permettant de relancer une civilisation technologique supérieure quasi immédiatement…
— Autre chose, je fais, quand je t’en donnerai l’ordre, tu détruiras tes archives remontant jusqu’à mon apparition, mais seulement jusque-là.
Le Praal est très attentif.
— Tu es entre les mains d’inconnus ? demanda HI. Tu parles librement ?
— Absolument.
— Donnez-lui le mot-code certifiant votre liberté d’action, lance sèchement le Loy après avoir coupé le contact un instant.
— HI… « Objectif Bleue ».
Pouvait pas me rendre davantage service, le Praal. Je n’ai pas de mot-code de ce genre mais en faisant mine de le lancer j’ai donné la destination à HI…
— Maintenant annulez les défenses.
Il n’y a pas de défenses autour de la base, puisqu’elle est en déplacement. Les vraies défenses sont depuis longtemps autour de la Folle ! Il faut simuler.
— Défenses, sur mon ordre, Cal de Ter, passez en mode neutre, orbite basse chez mes copains.
Est-ce que HI va comprendre ce charabia ? Je lui demande d’envoyer un engin en orbite basse au-dessus de Vaha. Le reste est du vent. Je me rends compte que je joue sur le fil.
— Maintenant ça suffit, fait le Loy. Où est la base ? Je comprends en un éclair qu’il a besoin de sa position parfaite… ce qui veut dire que pour reprendre le contrôle de HI, il doit lui balancer un rayonnement quelconque et non pas utiliser un mot-code ! Merveilleux, parce que HI va effectivement avoir le temps d’accomplir tout ce que je lui ai demandé avant de ne plus m’obéir… J’ai de la peine à maîtriser mon excitation.
— Vous avez tenu parole, moi aussi, mais souvenez-vous, Praal, que si vous faisiez détruire par exemple mes engins en vol, la base sauterait !
— Sa position, il répète durement.
Je vais à l’écran et désigne le système vers lequel se dirige le satellite. Le Loy a l’air surpris.
— C’est très loin !
Avec son accélération, le satellite est maintenant aussi rapide qu’un engin en vol libre. Mais je ne tiens pas à le lui dire. Alors je ne réponds pas directement.
— Comment rejoindrons-nous nos hommes ?
— Peu importe, il fait en haussant les épaules. Sur l’un de mes dkals ou avec un appareil à vous.
— Alors je veux demander à l’ordinateur de me préparer un petit engin de liaison qu’il laissera en orbite. D’accord ?
— Oui. Nous ne pouvons pas plonger pour l’instant, il faudra donc plusieurs heures pour gagner ce système. Vous resterez ici.
— Je peux demander mon engin ?
— Oui, il fait en branchant la transmission.
— HI, encore une chose lâche un poz moderne en orbite pour Giuse, Belem et moi. Salut, mon pote !
Pas pu m’empêcher de dire ça. Idiot de s’adresser à une machine comme ça, mais depuis quelque temps j’ai beaucoup changé à l’égard des « machines »
*
La tête du Loy quand il a vu le satellite… J’ai cru qu’il allait nous descendre. Une base mobile ne l’arrangeait pas. Pourtant j’ai eu l’impression qu’il ne venait que pour récupérer quelque chose. Alors ?
Enfin on a fini par embarquer dans un poz. C’est un super-module dont on a dessiné les plans avant la dernière hibernation. Finalement rien d’autre qu’un module agrandi, donc plus puissant et plus rapide avec une propulsion plus grande, plusieurs cabines minuscules à l’arrière et un petit carré. Beaucoup plus logeable que les installations pour trois passagers seulement des modules.
HI a expédié les pikjars depuis assez longtemps pour qu’ils soient passés en subespace. Les Loys ne peuvent savoir où ils sont allés. Et j’ai donné l’ordre d’effacement juste avant que les Loys ne braquent un truc bizarre, manifestement un rayonnant, qui leur a donné le contrôle effectif immédiat de HI. Tout le monde a tenu parole. J’ai perdu la base, mais ça aurait pu être pire et ce que j’ai récupéré vaut la peine.
On vient de s’installer dans le poste de pilotage du poz à trois sièges de front, à l’avant. Giuse sélectionne tout de suite l’écran circulaire qui recouvre les parois et le plafond du poste, donnant l’impression d’être assis dans le vide. Somptueux… une fois qu’on a vaincu l’appréhension du vide.
En surimpression viennent s’inscrire des symboles de couleur, paramètres de conduites, de navigation, de propulsion, bref tout ce qu’on veut. Ça permet de piloter l’engin à vue sans baisser les yeux vers les contrôles des consoles et leurs voyants lumineux.
— Qu’est-ce que c’est que ce truc ?
Giuse désigne un voyant ambré qui clignote dans un coin.
— Message codé en attente dans la boîte, fait Belem.
Message codé ? J’allonge la main et prélève une minuscule plaque dans un logement sous la console centrale. Je la glisse dans le lecteur de cartes et un écran-répétiteur s’allume. Vide. Mais la voix de HI s’élève :
— Je pense que tu es tombé entre les mains d’étrangers plus avancés que toi, Cal. J’ai compris tes messages bien que leur logique soit difficile à cerner pour moi. Dès que tu auras effacé mes souvenirs, je te considérerai comme un ennemi. Donc accélère dès votre installation dans le poz. Je te signale que cet appareil est équipé du rupteur que Giuse m’avait demandé d’étudier il y a très longtemps…
On se dévisage puis le regard de mon pote s’éclaire.
— Tu te souviens pas ? J’avais trouvé extraordinaire le principe du sabre-énergie et je me demandais si à partir d’un rayon qui dissocie les molécules on ne pouvait pas trouver une application à grande échelle. Mais j’avais demandé ça à tout hasard, il y a au moins deux hibernations.
— Oui, mais HI n’oublie jamais rien…
— … Il y avait d’innombrables possibilités d’études mais le résultat est positif. Il est possible d’émettre un rayonnement conique modulable provoquant une rupture de la cohésion moléculaire de toute matière organique ou minérale. Ce système s’appelle donc un rupteur de cohésion moléculaire. Il en existe quelques modèles de combat dans la soute, derrière vous et un plus gros système en a été développé pour ce poz, deux autres infiniment plus puissants encore pour le pikjar de Cal et un dernier appareil. La chaîne de fabrication complète de robots a été chargée dans un transport et le complexe industriel est toujours sous cocon dans son porteur. Le tout, accompagné des pikjars, se dirige vers la Bleue. Un poz est également en route vers Vaha. Une dernière chose, j’ai fait mettre dans ta soute un vieil ami à toi, je crois. Les installations des deux pikjars principaux sont complètes. Voilà, c’est tout. Je te dis adieu, Cal. Et à Giuse aussi, le beau salopard !
Merde ! HI… Et puis je comprends, Giuse piquait des rognes et traitait HI de « beau salopard ». Aujourd’hui c’est l’ordinateur qui lui dit adieu de cette manière. Et j’en reste soufflé…
Une stridence d’alerte s’enclenche brusquement. Mes yeux tombent sur la console de veille, à droite. Un voyant de proximité est au rouge… Qu’est-ce que…
— Emergence immédiate secteur gauche, au-dessus, annonce la voix de l’ordinateur de bord.
Tout de suite on tourne la tête. Belem a été le plus rapide, évidemment.
— Une tulipe, il jette en faisant courir ses mains sur le tableau de bord.
Tous les voyants des systèmes de défense s’allument. Instinctivement j’ai saisi la boule de pilotage manuel, les yeux rivés sur la tulipe. Qu’est-ce qu’elle vient foutre ici ?
Et puis la réponse s’impose. C’est Giuse qui le dit :
— Enfoiré de Loy, il veut nous descendre une deuxième fois ! Pas apprécié le coup du satellite…
Machinalement j’ai poussé la puissance au maximum et tiré la boule de pilotage. On grimpe en chandelle, passant au-dessus de la tulipe au moment où le hurleur de proximité se met en marche.
— Frôlé par quelque chose, lance Giuse.
Ah ils nous tirent ! Cette fois on va voir s’ils sont vraiment forts.
— Le rupteur, je jette durement.
— Branché, en acquisition automatique, répond Belem.
— L’arrière… feu au vert.
Les yeux de Giuse ne quittent pas la console de tir que commande Belem pendant que je fais faire un retournement au poz pour continuer à voir la tulipe sur les écrans.
Elle nous a suivis facilement. Rien d’étonnant avec sa puissance.
— Feu ! lance Belem.
Il ne se passa rien…
— Là… regarde, hurle Giuse.
Bon Dieu… l’arrière de la tulipe est en train de lâcher un nuage de poussières… Non, c’est l’arrière lui-même qui disparaît en poussière ! Fantastique, ça marche…
— Les antennes, je lance rapidement.
— Touchées, fait Belem, excité.
Pas le temps d’épiloguer sur ce petit miracle de Belem s’excitant, la tulipe paraît enveloppée de poussières. Descendue, la tulipe ! K.O…
J’allonge la main vers les commandes de transmission. Le vert s’allume.
— Praal, je lance d’une voix dure, un accord est un accord. Vous avez voulu m’abattre une seconde fois alors que je vous ai rendu la base. Je vais la faire sauter. Pas maintenant mais un jour, l’ordre est lancé, il sera exécuté forcément. Mais je ne veux pas vous dire quand… Et n’espérez pas revoir votre appareil, je viens de le détruire. Nous sommes quittes. Un partout. Je pars pour une autre galaxie. C’est mieux pour vous, croyez-moi, j’ai le moyen de vous détruire. Vos ancêtres ne nous auraient pas sous-estimés. Ils nous auraient traités équitablement. Vous ne les valez pas…
J’ai mis beaucoup de mépris dans les derniers mots et je sais qu’il va durement encaisser.
— Accélération à fond, je lance.